Les fonctions exécutives : le chaînon manquant du coaching en gestion
- Paul Goldman, éditeur
- il y a 5 heures
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On conçoit souvent le coaching comme une conversation inspirante où l’on clarifie des objectifs, met en doute des croyances, consolide des forces. Tout cela est utile. Mais lorsqu’un gestionnaire retombe, semaine après semaine, dans les mêmes ornières — décisions tardives, priorisation floue, réunions qui débordent, conflits mal régulés —, ce ne sont pas seulement des « attitudes » qui sont en jeu. Ce sont aussi des fonctions exécutives (FE), soit des capacités cérébrales permettant d’orchestrer l’action : planifier, retenir l’information utile, inhiber l’impulsivité, basculer d’un plan à l’autre, rester aligné malgré la pression.
Le BRIEF-A (Behavior Rating Inventory of Executive Function – Adulte) offre un portrait de ces capacités dans le quotidien d’un individu. Alors que la personnalité décrit nos tendances générales (p. ex. être extraverti ou consciencieuse), le profil exécutif décrit notre manière d’exécuter des tâches sous contrainte, quand l’imprévu surgit, que le temps file et que les émotions s’en mêlent. Intégrer ce portrait dans un processus de coaching transforme la démarche : on passe alors d’un soutien « générique » à une rééducation fine des boucles attentionnelles, décisionnelles et émotionnelles, qui font la différence sur le terrain.
Pourquoi les FE sont déterminantes en gestion
Un gestionnaire est payé pour arbitrer des priorités, orchestrer des équipes et tenir des engagements dans l’incertitude. Or, chacune de ces tâches sollicite les FE :
Inhibition : résister à l’urgence trompeuse, dire « non » à une demande sympathique mais non prioritaire, interrompre une montée de colère avant qu’elle ne déborde.
Mémoire de travail : garder en tête plusieurs contraintes (budget, délais, dépendances) tout en menant une réunion, intégrer une nouvelle donnée sans perdre le fil.
Flexibilité cognitive : changer de perspective quand l’hypothèse A tombe, envisager un plan B sans s’entêter, passer du détail au panorama et inversement.
Planification-organisation : décomposer une cible en jalons, séquencer, réserver des ressources, maintenir une planification inversée.
Autorégulation émotionnelle : contenir l’anxiété, réguler la frustration, percevoir les signaux faibles sous pression.
Monitorage : évaluer en temps réel si ce que l’on fait fonctionne, ajuster le tir plutôt que d’insister mécaniquement.
Sans ces briques que sont les fonctions exécutives et sur lesquelles s’appuie toute compétence technique, celle-ci s’érode. Grâce à elles, le même gestionnaire, dans la même organisation, est plus performant et rencontre moins de friction.
Le BRIEF-A : du portrait à la feuille de route
Concrètement, un coaching orienté FE comporte les étapes suivantes :
Évaluation : Afin d’établir le profil exécutif d’un individu, le BRIEF-A est utile : il permet de recueillir la perception qu’a un gestionnaire de ses comportements exécutifs dans la vie réelle (autorapport) ainsi que celle de répondants proches (évaluation par un pair, un supérieur, un partenaire), et ce, au travail et hors travail.
Mise en récit : Les scores sont ensuite traduits en situations concrètes (« quand la réunion dérive », « quand un courriel agressif arrive », « quand deux projets entrent en concurrence »). Le profil est relié aux épisodes récurrents qui coûtent cher.
Ciblage : Une à deux priorités exécutives à fort impact (ex. mémoire de travail et autorégulation) sont choisies et des marqueurs observables de progression sont définis.
Prototypage de routines : Des micro-outils sont conçus afin de s’insérer dans le flux du travail (listes de vérification, cadrage de réunion, scripts décisionnels, rituel de respiration, etc.).
Mesure et boucles de rétroaction : De courts bilans sont faits toutes les deux semaines (autoévaluation et rétroaction ciblée d’un pair) et des ajustements sont apportés au besoin.
Voyons maintenant comment travailler, en coaching, trois leviers majeurs qui permettront au gestionnaire d’être plus performant dans l’accomplissement de ses tâches: la mémoire de travail, la flexibilité cognitive et l’autorégulation.
1) La mémoire de travail : garder le fil dans la tempête
Problème type. En réunion, le gestionnaire perd le fil des décisions; il oublie une contrainte clé soulevée plus tôt; les plans d’action restent flous. Dans les périodes de surcharge, il saute d’une tâche à l’autre et laisse des « boucles » ouvertes.
Pourquoi c’est exécutif. La mémoire de travail maintient temporairement et manipule des informations (objectifs, contraintes, séquences) pour guider l’action. Sous l’effet du stress, sa capacité se réduit ; plus le contexte est riche en stimuli, plus elle se sature.
Interventions de coaching.
Externaliser la charge. Sortir l’information de la tête pour la projeter dans le monde : canevas de réunion en une page (objectif, décisions attendues, contraintes, prochaines étapes), tableau « Qui ?/Quoi ?/Comment ?/Quand ? » rempli en direct, synthèse de 5 lignes envoyée dans l’heure.
Segmenter et nommer. Décomposer les décisions en unités homogènes; nommer explicitement la décision (« Décision A : Maintenir l’objectif initial »); clore ce segment avant de passer au suivant.
Rappels proactifs. Rituels calendaires : revue hebdomadaire de 30 min (projets, dépendances, risques), revue quotidienne de 10 min (priorités du jour, obstacles).
Design d’environnement. Réunions sans ordinateur ouvert pour les participants clés; tableau visible où inscrire les sujets débordant de l’ordre du jour pour éviter les dérives.
Indicateurs de progrès. Taux de réunions ayant mené à des décisions; nombre de « boucles » laissées ouvertes; qualité perçue des comptes rendus (clairs, exploitables, adressés aux acteurs pertinents).
2) La flexibilité cognitive : changer d’angle sans perdre le cap
Problème type. Le gestionnaire s’entête dans une solution (« on a toujours fait comme ça »), peine à intégrer une rétroaction contradictoire, passe du temps à défendre le passé au lieu de reconfigurer l’avenir.
Pourquoi c’est exécutif. La flexibilité cognitive permet d’alterner entre règles, couches de priorités ou cadres mentaux. Elle accélère l’adaptation : tester des hypothèses, abandonner vite les pistes non viables, reformuler le problème.
Interventions de coaching.
Pré-mortem et scénarios. Avant de lancer un plan, imaginer qu’il a échoué : pourquoi ? Quand aurait-il fallu réagir ? Concevoir ensuite différents scénarios avec des critères de bascule explicites.
Cartes de perspectives. En réunion, balayer systématiquement trois angles : client/utilisateur, finance/risques, opération/déploiement. La question pivot à se poser : « Qu’est-ce qui change si l’on prend l’angle X ? »
Règles de désengagement. Énoncer les conditions de renoncement (p. ex. « Si X n’est pas atteint à la l’étape 4 on arrête. ») et les signer à froid pour éviter l’entêtement à chaud.
Jeux de contraintes. Introduire délibérément une contrainte (budget réduit de 20 %, délai avancé d’un mois) pour forcer le cerveau à explorer d’autres avenues.
Indicateurs de progrès. Délai moyen pour pivoter après un signal; nombre de décisions assorties de critères de révision; perception d’agilité par les parties prenantes.
3) L’autorégulation : garder l’accès aux ressources quand l’émotion monte
Problème type. Courriel agressif → réponse impulsive. Conflit entre équipes → escalade. Période de surcharge → agitation stérile et décisions hâtives.
Pourquoi c’est exécutif. L’autorégulation englobe la gestion des impulsions, la tolérance à la frustration et la modulation de l’activation physiologique. Sous haute charge émotionnelle, le cerveau court-circuite les circuits de planification au profit de réflexes. Le rôle du coaching est de rétablir un espace de réflexion entre stimulus et réponse.
Interventions de coaching.
Ralentisseurs décisionnels. Règle des « 2 respirations + 2 phrases » : deux respirations lentes, puis reformulation factuelle (« Si je comprends bien… ») et question d’exploration (« Que proposez-vous pour… ? »). Pour les courriels : brouillon + délai programmé.
Scripts d’ouverture et de conclusion. En conflit, phrases d’atterrissage (« Je veux comprendre ce qui est important pour vous dans ce dossier »), puis de cadrage (« Décidons ce que chacun fait d’ici vendredi »).
Ancrages physiologiques. Micropauses entre réunions (2 minutes de marche, eau, respiration 4-6); routines de début de journée (revue calme et établissement des priorités) et de fin de journée (bilan, notes pour demain).
Hygiène attentionnelle. Plages sans notifications; traitement par « lots » des courriels; règle des trois créneaux d’Importance /jour pour l’équipe.
Indicateurs de progrès. Diminution des escalades; rétroaction sur la qualité du climat en réunion; autoévaluation post-incident (« Ai-je choisi ma réponse ? »).
Relier FE, objectifs d’affaires et culture d’équipe
Un coaching exécutif n’a de valeur que s’il modifie des résultats. Pour cela, on relie chaque levier à un indicateur d’impact :
Mémoire de travail → exécution : décisions plus nettes, moins de re-travail, délais respectés.
Flexibilité → agilité : cycles de décision plus courts, risques contenus, occasions saisies.
Autorégulation → climat et rétention : réduction des tensions, coopération accrue, meilleure expérience employé.
Le portrait BRIEF-A devient un contrat de progrès : il permet de fixer deux priorités FE, d’établir deux routines, et de définir deux indicateurs de progrès. Parallèlement, le coach veille à l’alignement culturel : inutile d’entraîner la flexibilité d’un individu si les rituels d’équipe punissent le pivot; inutile de travailler l’inhibition si l’organisation récompense la disponibilité permanente et la réaction instantanée.
Et la personnalité dans tout ça ?
FE et personnalité se complètent. Un gestionnaire très consciencieux (personnalité) dispose d’un terrain favorable à la planification, mais en situation de surcharge, sa mémoire de travail peut tout de même faillir : on externalisera alors davantage. Un profil très extraverti peut exceller dans les interactions, mais gagnera à recourir à des ralentisseurs décisionnels pour l’autorégulation. À l’inverse, un profil plus introverti compensera en structurant ses réunions avec précision.
Quoi qu’il en soit, on n’« attend » pas que la personnalité change pour agir; on s’entraîne à des routines exécutives qui font progresser l’efficacité dès maintenant.
Mise en œuvre pratique : un cycle de 8 à 12 semaines
Semaines 0-1 : passation du BRIEF-A (auto + 1 ou 2 répondants), clarification des situations cibles et des indicateurs d’impact (ex. taux de décisions closes, délai moyen de pivot, incidents d’escalade).
Semaine 2 : restitution et choix de deux priorités FE; rédaction d’un plan-routines (1 page).
Semaines 3-10 : sprints bi-hebdomadaires (30-45 min) : revue des épisodes, ajustements des routines, collecte de la rétroaction courte d’un pair.
Semaines 11-12 : bilan des indicateurs, plan d’autonomie (ce que le gestionnaire garde, ce qu’il amplifie, ce qu’il transmet à son équipe).
Limites et éthique
Un portrait exécutif ne sert pas à « étiqueter » un gestionnaire ni à médicaliser des enjeux de performance. Il sert à nommer des mécanismes et à outiller une démarche de coaching en vue de réaliser des progrès. Le respect de la confidentialité (qui voit quoi et à quelles fins) est essentiel. La communication aux parties prenantes est celle de routines et d’indicateurs, pas de scores bruts. Enfin, certaines difficultés exécutives peuvent relever d’enjeux cliniques ; le coach doit savoir référer au besoin.
En guise de conclusion…
Le coaching gagne en puissance quand il s’ancre dans les fonctions exécutives. Le BRIEF-A fournit une photographie des habitudes attentionnelles et régulatoires qui sous-tendent la performance réelle. En travaillant trois leviers — mémoire de travail, flexibilité, autorégulation — par des routines simples, mesurables et contextualisées, on transforme la manière d’animer des réunions, de prendre des décisions, de gérer des tensions.
L’objectif n’est pas de modeler un « nouveau soi », mais plutôt de faire émerger un soi plus pilotable, qui garde accès à ses ressources malgré la complexité d’une situation.
Car c’est là, très concrètement, que se joue la compétence d’un gestionnaire.
